Naomi Watts - Claire Obscure

Tout sur FUNNY GAMES (US) - Le 2008-03-23

    Ce qui frappe d'emblée, comme une évidence chez Naomi Watts, c'est sa vulnérabilité, cette fragilité intense comme une blessure ouverte, l'empathie hors du commun qu'elle inspire à chaque rôle. Ainsi, on n'a pas très envie de la voir souffrir, livrée aux mains d'un gorille géant par une tribu sauvage ou plongée dans le drame absolu de 21 Grammes, ou encore perdue dans les méandres de Mulholland drive. Parce que son visage est ouvert, elle fait ressentir fort la souffrance autant que l'allégresse, parfois les deux ensemble.

Elle participe à l'étrange remake de Michael Haneke, Funny games U.S, copie plan par plan de son film original. Elle y sera au coeur d'une famille qui voit sa belle vie troublée par l'irruption de la violence aussi absurde qu'absolue. Cependant, sa vérité est aussi dans l'autodérision, dans J'adore Huckabees de David O. Russell ou l'étonnant Ellie Parker en 2005 (une journée dans la vie d'une actrice). Elle est, il fallait s'y attendre, l'égérie de thrillers qui, sans elle, perdraient un peu de leur âme et de la tension inquiète qu'elle sait dégager (The Ring, Stay). Entre clarté et noirceur, Naomi Watts est une belle sensibilité riche et profonde.

Elle naît en 1968 en Angleterre. A l'adolescence, elle émigre en Australie. Elle sera australienne d'adoption et trouvera par exemple en Nicole Kidman une amie au soutien indéfectible lors de ses tous premiers castings. Le début de sa carrière est dominé par l'incertitude. Elle se lance d'abord dans le mannequinât qui lui rapporte un peu d'argent et beaucoup de frustration. Elle abandonne un moment toute velléité artistique en trouvant un « vrai boulot » (comme disent les honnêtes gens). En vérité tout le début de sa carrière sera placé sous le signe du doute, apparaissant dans des séries télé ou des films d'horreur pour tenter de percer. Jusqu'à la sortie et le triomphe de Mulholland drive, Watts sera toujours à la limite de tout plaquer, à force de manger son pain noir. A Hollywood, elle tente sa chance sans cesse avec passion (dans Tank Girl, par exemple) et ne parvient pas à trouver le « Deus ex machina » qui la confirmerait dans sa vocation. Il arriverait in extremis et se nommerait David Lynch.

Mulholland drive a entraîné bien des gloses et des interprétations, pour tenter de le décrypter, de le rationaliser, chacun y allant de sa petite théorie plus où moins tirée par les cheveux pour appréhender l'objet non identifié. Il est pourtant assez délicieux de se laisser simplement embarquer dans ce trip onirique, ce jeu avec la perception et les illusions cinématographiques et laisser de côté l'analyse et l'esprit cartésien, comme devant une peinture abstraite. On se demande ce qui est réel, ce qui ne l'est pas, on est dans des temporalités et des contextes différents, une ambiance irréelle et fantasmatique constante, absurde même par moments. Dès que l'on croit à la réalité d'une scène ou d'une situation, elle nous échappe (comme cette séquence noctambule où une femme chante une chanson poignante et s'effondre alors que le play-back continue).

Naomi Watts campe plusieurs personnages. Ils sont comme les facettes changeantes d'un kaléidoscope, toujours dans la même réalité mais éclairés d'une manière différente. Elle est d'abord l'actrice ingénue qui débarque de sa province, émerveillée, pour tenter sa chance à Hollywood. Chez sa tante qui lui prête son appartement, elle trouve une femme amnésique, l'énigmatique Rita, liée à une sombre histoire. Intriguée et curieuse, la jeune actrice tente de percer les secrets de sa compagne, avec qui se noue très vite une relation intense, trouble et passionnelle. Dans ce premier temps, Watts étonne déjà par sa réserve et son talent qui explose par endroits (l'étonnante scène de l'audition où elle fait croire à une situation pourtant clairement présentée comme mensongère). Elle dira plus tard que David Lynch l'a poussée à explorer son côté obscur. C'est particulièrement sensible dans ses scènes d'amour avec Laura Harring. Ce duo troublant, torride et fusionnel rappelle souvent celui du Persona d'Ingmar Bergman. Watts devient plus intense encore dans le deuxième temps du film, lorsque les repères sont bouleversés et qu'elle devient Diane, maîtresse éconduite, délaissée et désespérée. Il y a la scène assez dérangeante où elle se masturbe en pleurant, le visage défait par l'humiliation d'avoir à faire cela devant une caméra. Son personnage dans le dernier tiers du récit a les yeux agrandis par la tristesse et l'inquiétude. Son aspect négligé à la fin du film dans le fameux Winkie's (lieu important dans ce grand mystère) annonce déjà sa déchéance dépressive de 21 Grammes. Même si la trame narrative de Lynch est alambiquée, l'humilité, la justesse, le raffinement, l'implication et la sensibilité de l'actrice parviennent à vous accrocher tout du long. Le réalisateur lui permettait de déployer ici la richesse de son registre. Elle le retrouvera par la suite pour prêter sa voix à la série Rabbits et au controversé Inland Empire.

Aux côtés de Heath Ledger, elle est au générique de Ned Kelly, cow boy fantasque s'il en est. Mais c'est véritablement dans les deux volets de Le cercle, The Ring de Gore Verbinski que sa carrière se poursuit en mode majeur. Si l'on peut questionner l'opportunité de faire la copie, certes respectueuse, du film d'Hideo Nakata, Naomi Watts lui apporte indéniablement son intensité et son charisme, cette fébrilité qu'elle sait rendre toujours latente. Plutôt qu'autour d'une cassette vidéo maudite (qui entraîne la mort si on ne la fait pas circuler), c'est autour de son visage et de sa crainte en crescendo que l'intrigue se cristallise. Elle s'impose comme une héroïne Hitchcockienne, mais avec cette angoisse profonde en plus. Watts sait suggérer les gouffres. La mise en scène ne surprend pas, pas plus que l'intrigue. C'est véritablement l'engagement de l'actrice qui ne rend pas le film vain. Elle lui confère une urgence, une force d'identification supplémentaire. On est en empathie totale avec elle et on la suit dans son inquiétude et dans sa fièvre. On sent que le choix de Haneke pour Funny Games U.S se justifie par cela. On la suit, on s'attache à elle, quelle que soit la situation, même si on l'a déjà vue. Cette sorte de violence qu'elle fait à sa nature que l'on sent réservée, cette manière de se jeter dans une situation avec force, la rendent tout simplement irrésistible.

Après un détour allègre et printanier par Paris dans le Divorce de James Ivory, Naomi Watts rencontre un très grand rôle dans 21 Grammes d'Alejandro Gonzalèz Inarritu. Elle se trouve pour la première fois aux côtés de Sean Penn. Son personnage est surtout au coeur d'un drame absolu qui va la plonger dans une détresse profonde, un désespoir où elle se perd. Elle est d'abord l'image de la sérénité. Elle reçoit un message de son époux qui rentre à la maison avec ses deux filles. Mais ils sont victimes d'un accident, renversés par un ancien taulard devenu prêcheur (Benicio del Toro, rongé ensuite par la culpabilité). Elle les perd tous les trois. Un homme en attente de transplantation du coeur va bénéficier de celui de son mari. Sean Penn, dans la peau de ce condamné sauvé in extremis, est éperdu de reconnaissance et de mauvaise conscience. Il tombe amoureux de cette femme en perdition. Car elle a renoué avec ses vieux démons. Son passé de junkie nous est révélé quand elle retrouve son ancienne dealeuse dans une boite de nuit. C'est Sean Penn qui la ramène chez elle, tente sans cesse de la sauver d'elle-même, quitte à tout perdre, à commettre la vengeance et le péché pour qu'elle arrête enfin de souffrir, pour qu'il ait le sentiment de ne rien lui devoir. Le rôle est déchirant. Watts exprime le désespoir des suicidaires qui ne veulent pas être sauvés, qui s'enfoncent sans espoir de retour dans leur détresse. C'est la cas du trio principal. Ils ne parviennent pas à se sortir de cette tragédie qui les affecte tous et a détruit leurs existences. Il faut un grand choc final, un événement violent et choquant pour qu'enfin ils se réconcilient avec l'existence, fassent la paix entre eux, acceptent de sortir de leur stupeur et avancent. Il s'agit là d'une très belle réflexion sur la rédemption, servie par un trio d'acteurs à la maîtrise tout simplement exceptionnelle.

Elle retrouve Sean Penn plus tard pour the Assassination of Richard Nixon où elle est l'épouse d'un pauvre type va rendre responsable le président des Etats Unis de l'échec de sa vie. Le héros développe une véritable fixation qui lui fait tout perdre, son boulot, son reste de famille et sa santé mentale. Watts s'accorde très bien à l'égarement de Sean Penn, le duo est toujours aussi magistral, même si cette fois, la relation est loin d'être fusionnelle. Penn est indésirable pour cette femme qui veut le tenir éloigné d'elle.

Ellie Parker est un petit film singulier, pris sur le vif comme du cinéma-vérité, une sorte de documentaire sur une actrice à la vie troublée qui passe d'une audition à l'autre. On voyait déjà chez Watts ce sens de la mise en abyme dans Mulholland drive. On la suit dans ses cours de comédie, dans ses problèmes avec son petit ami, dans un concours amusant avec une amie actrice tentant de pleurer le plus rapidement possible pour prouver l'efficacité de la méthode. On la voit répéter ses répliques en se changeant au volant de sa voiture pour préparer le rôle d'une prostituée. C'est une oeuvre méconnue, fauchée, une parenthèse qui ressemble à une bouffée d'oxygène pleine d'audace. Cela permet d'approcher avec une autodérision certaine, le quotidien d'une jeune comédienne, dans ce qu'il a de plus banal, galérer et douter (et chanter du Blondie à tue-tête). On sent une part assumée d'autobiographie légère pour l'actrice qui revit les galères de ses débuts. Sa générosité et son naturel font mouche. Car Watts peut jouer autre chose que les femmes tourmentées, affrontant l'adversité. Elle tire son épingle du jeu dans le délirant J'adore Huckabees de David O'Russell. Si le film peut décontenancer et apparaît déjanté à l'extrême, parodique en permanence et sans compromission (la prestation réjouissante de Dustin Hoffman en enquêteur existentiel), il prouve que la belle Naomi peut être aussi drôle que bouleversante.

Dans l'intéressant -mais inégal- We don't live here anymore, Watts aux côtés de Mark Ruffalo (In the cut) et Peter Krause (Six feet under) dépeignait dans les rapports troubles de deux couples d'abord liés par une complicité profonde et sensuelle avant que tout cela ne tourne mal dans une série d'infidélités. L'adultère a toujours été en littérature et au cinéma, un révélateur raffiné des tourments et des désirs inavoués. Le film est intéressant à ce titre et fort d'un casting de tout premier ordre, à l'engagement total (Ruffalo et Watts ont participé à sa production).

On la découvre ensuite au générique de King Kong, remake majestueux réalisé par le grand Peter Jackson. Etrange d'ailleurs comme les remakes jalonnent la carrière de Naomi Watts à côté de projets plus intimistes et plus risqués. Elle reprend donc ici le rôle légendaire de Fray Wray. La version de Jackson se présente d'ailleurs avant tout comme un hommage à l'épisode original, loin des dérives des années 70, où le gorille avait une relation certes platonique mais un brin équivoque avec sa belle captive (notamment lorsqu'il séchait Jessica Lange en petite tenue de son souffle chaud...). Le contexte est celui du New York de la grande dépression. Watts incarne une actrice nécessiteuse qui se laisse convaincre de tourner dans un film d'aventures par un cinéaste pourchassé par ses producteurs (Jack Black à mi chemin entre Ed Wood et Orson Welles). Ils embarquent donc pour Skull Island. On est au coeur d'un cinéma héroïque, classique. Le personnage de Watts a gagné en épaisseur et devient riche du contexte social de son temps, obligée d'accepter des emplois infamants pour ne pas mourir de faim. Ainsi, lorsque Kong apparaît, ainsi que la course avec les T-Rex, on s'est attaché aux protagonistes et à elle en particulier. Le lien qui l'unit au gorille est assez élémentaire. Même s'il n'évite pas toujours l'anthropomorphisme, cela reste cohérent. Il la protège comme elle le protège ensuite et elle n'est moins archétypale que Fray Wray dans le glorieux ancêtre de 1933 (qui passait une large partie du film à hurler). On sent l'oeuvre respectueuse de son modèle, en reprenant scrupuleusement la structure. Cependant les personnages sont campés par des comédiens qui sont avant tout reconnus pour leur raffinement et leur sensibilité (Adrien Brody et Naomi Watts), on ne les attendait pas dans ces rôles. Ainsi parviennent-ils à dépasser les stéréotypes et à contribuer à la cohérence et à l'émotion d'une oeuvre qui aurait pu n'être qu'un festival d'effets spéciaux. Ils lui donnent un supplément d'âme. En plus du grand souffle du metteur en scène, il s'agit là d'un bel ensemble.

On la retrouve à la suite dans Stay de Marc Forster, film au sujet plus alambiqué (voire incompréhensible). Il s'agit d'un thriller psychologique. On part d'un adolescent (Ryan Gosling) qui confie à son psychiatre (Ewan McGregor), son désir d'en finir. On évolue dans un monde qui peu à peu perd ses repères. La mise en scène devient profondément esthétisante. La construction est cyclique (pleine de déjà-vu, de répétitions, de jeux de montage avec différents plans de la même scènes). Le personnage du psy explore ses possibles, croise des êtres vivants ou morts, revit des épisodes de son passé. L'ensemble est conceptualisé à l'extrême, joue sur les points de vue. Dans cette déstructuration qui rappelle Lynch (en moins bien), Naomi Watts incarne une femme fragile, compagne du psy déboussolé qui a eu elle-même des tentations suicidaires. Avec un twist final longtemps ménagé -et finalement assez prévisible-, le film ressemble à un exercice de style bancal, avec des automatismes narratifs et stylistiques un peu trop rebattus (sur le mode « ce n'était qu'un rêve »).

Le Voile des illusions revenait à une veine plus romanesque et plus classique. Watts est mariée sans amour à Edward Norton. Il l'entraîne en Chine. Rongée par l'ennui, elle accorde ses faveurs à un autre homme. Son époux découvre qu'elle le trompe. Pour se venger il l'entraîne en dans une zone infestée par le choléra. Elle est une femme libre, légère et frivole. Son époux est son contraire, strict et raide, conservateur et froid (Norton est étonnant dans ce rôle). Lorsqu'il découvre la liaison et demande le divorce, elle se voit contrainte de le suivre pour échapper à l'humiliation. Au coeur des lieux troublés et au milieu des souffrances, elle se consacre aux autres et il sort de sa rigueur. Ils se redécouvrent. L'histoire peut sembler convenue, cependant, l'art des deux comédiens lui donne de l'épaisseur. L'oeuvre est en définitive assez touchante.

C'est surtout auprès de Cronenberg dans son magnifique les Promesses de l'ombre que Naomi Watts revenait à un enjeu majeur. Elle s'y trouvait mêlée à un monde glauque et immoral, celui de la mafia russe à Londres. Elle y découvre la violence, le sang, l'immoralité fondamentale d'une famille gouvernée par le crime. Elle a ici valeur de passeuse, et dévoile l'humanité terrifiante des personnages qu'elle approche. Cronenberg exploite la richesse de l'actrice, sa faculté à se plonger dans l'instant, à se confronter à des situations extrêmes. Elle est une sage femme qui veut protéger le bébé d'une jeune fille morte en couche. Pour rechercher la famille du nouveau-né, elle lit le journal intime de l'adolescente. Elle découvre le parcours horrible d'une jeune prostituée. Elle entre peu à peu dans cette vie brisée. Elle découvre un univers souterrain, des sentiments exacerbés, des intériorités ambiguës barbares, une violence qui envahit tout. Les émotions qu'elle ressent alors sont celles du spectateur. Plus que la violence elle-même, souvent graphique et spectaculaire chez Cronenberg, le film se concentre sur ses conséquences, les effets psychologiques qu'elle produit. C'est en cela qu'il nécessitait l'expressivité sensible et juste de Naomi Watts. C'est d'ailleurs par elle que Viggo Mortensen redevient humain. Sa présence au milieu de l'obscurité devient comme une frêle promesse de salut en enfer. Elle est ici une figure de la rédemption (pour Mortensen et aussi pour Cassel), comme une héroïne de Dostoïevski.

Naomi Watts a pour coutume d'incarner des intimités brisées, bouleversées, qui peu à peu se recomposent (comme dans 21 grammes).Elle est une actrice d'importance, autant demandée par des auteurs exigeants à l'univers âpre et cruel (comme Haneke, Inarritu ou Cronenberg), que dans le futur Anges et Démons de Ron Howard, adapté du roman de Dan Brown, auteur du Da Vinci code. On l'attend également à l'affiche de Need, film de Ryan Murphy, créateur de Nip/Tuck. Elle a su imposer sa présence dans des univers très différents. Sa beauté classique lui permettra de reprendre le rôle de Tippi Hedren dans le remake des Oiseaux d'Hitchcock (était-ce bien nécessaire ?).

Sa trajectoire d'actrice est toujours cohérente. Elle compose des rôles toujours dans l'adversité, la confusion et la violence qu'elle soit identifiée (dans King Kong ou les Promesses de l'ombre) ou plus abstraite (dans Mulholland Drive et 21 grammes). Elle apporte son humanité profonde, son supplément d'âme, son sens de la nuance à chaque univers. Elle manie les contrastes avec virtuosité. Elle peut évoluer spectaculairement au coeur d'un rôle, avec une justesse sans cesse maintenue, sans effets ni cabotinage, même lorsqu'elle est dans la rupture de ton. Elle a un art du clair obscur qui la magnifie et la rend capable d'aborder n'importe quel rivage.

Nicolas Houguet

Source : DVDRama / Naomi Watts Claire Obscure
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :