Funny games us, le remake choc de Michael Haneke

Tout sur FUNNY GAMES (US) - Le 2008-03-23 15:22:25

On va au cinéma. On loue un DVD. Depuis longtemps (depuis que le train est entré en gare de la Ciotat), on ne s'attend plus à tomber de son siège. C'est pourtant ce qui est arrivé (littéralement) à certains spectateurs de Funny Games, de Michael Haneke, lors de sa présentation au festival de Cannes en 1997. Le cinéaste cherchait à reproduire l'impact que Salo ou 120 journées de Sodome, de Pier Paolo Pasolini, avait généré sur lui, sa réflexion sur le monde, son rapport à la violence et la dégradation de l'homme par l'homme. Pour beaucoup, il y était parvenu.
Ainsi, on peut se demander pourquoi il s'est lancé dix ans plus tard sur le remake quasiment identique de ce choc aux Etats-Unis. Réponse : pour assassiner une première version qui lui a échappé. Vous connaissez déjà sans doute l'histoire : une famille (un couple et un enfant) passe ses vacances au bord d'un lac. Deux jeunes hommes à peine sortis de l'adolescence leur rendent visite sous un prétexte futile. Ils les séquestrent et les soumettent à des "jeux (pas très) marrants". Rassurons les sceptiques : Michael Haneke aux Etats-Unis est aussi intraitable que celui qui exerce en Europe. Et on l'en remercie.

FUNNY GAMES US
Un film de Michael Haneke
Avec Naomi Watts, Tim Roth, Michael Pitt
Durée : 1h51
Date de sortie : 23 Avril 2008

Michael Haneke n'a jamais caché qu'il avait réalisé la première version de Funny Games pour rendre compte des dangers d'une violence consommable dans un cinéma américain inconscient du pouvoir de ses images. Le réalisateur philosophe a toujours voué une détestation cordiale envers des cinéastes comme Quentin Tarantino et Oliver Stone qui ont contribué consciemment ou non dans les années 90 à rendre la violence, la souffrance humaine et la vision du sang "supportables" sur grand écran. A l'époque, il avait juste oublié que les spectateurs Américains ne se précipiteraient pas pour découvrir un film Autrichien controversé au festival de Cannes avec dans les rôles principaux des acteurs qui ne s'expriment pas dans leur langue. Evénement fâcheux : Funny Games s'est taillé au fil des années dans le reste du monde une réputation de "film culte" sous prétexte qu'il contenait des situations insoutenables et une tension plus asphyxiante que n'importe quel film d'horreur cherchant à procurer l'effroi ou le malaise.

Pour Haneke, ce succès rime avec échec artistique puisqu'il n'a jamais voulu réaliser de film d'horreur et n'a pas réussi à délivrer de message. Lui-même l'avoue: il a été dépassé par un phénomène malsain. Au gré d'interviews, il compare le statut gênant de son film à Orange Mécanique, de Stanley Kubrick qui en son temps a déçu son auteur parce que le public favorisait le contenant au contenu et donc la surface du film-choc à la profondeur de la réflexion sur la délinquance. Il aurait même pensé à le détruire pour décliner toute responsabilité. Voilà pourquoi, au-delà du simple remake qui reprend plan par plan le canevas originel sans changer la moindre miette formelle ou narrative, Funny Games US doit avant tout être vu comme une réponse aux malentendus.

Il y a dix ans, le but de Haneke était de dénoncer la violence par la violence en utilisant d'effets souvent virtuoses (la télécommande qui permet de rembobiner le film), en s'appuyant sur des victimes assimilées comme des pions innocents sur un damier sanglant, en ne leur laissant aucune échappatoire. Depuis, sa filmographie a évolué et souligné à quel point le cinéaste aimait la dissertation en bobine et les fresques édifiantes qui traitent de la loi et de la pulsion et dissèquent les entrailles de l'homme (qui est un loup pour l'homme). Il suffit de voir Le temps du loup, film post-apocalyptique vaporeux réalisé entre La pianiste et Caché. La première scène brutale où l'on voyait une famille bourgeoise débarquer dans sa maison de campagne avec des provisions et se faire agresser par des inconnus faisait penser à Funny Games. Malgré les succès d'estime (Caché, porté aux nues lors de son passage au festival de Cannes), un retour light à ses premières amours (Code Inconnu, réflexion sur la communication) et une commande excellemment négociée (La pianiste, qu'il ne devait pas réaliser à l'origine), on a toujours senti chez Haneke une envie de revenir à son film le plus polémique - plus polémique encore que sa trilogie de la glaciation émotionnelle (Le septième continent, Benny's Video et 71 fragments d'une chronologie du hasard) - pour se justifier et expérimenter cette déréalisation d'une violence ordinaire qui peut surgir à tout moment. Tous ces arguments suffisent à justifier la raison d'être de cette entreprise US qui ne prend jamais le spectateur dans des filets mercantiles. Ce serait mal connaître le genre de la maison.

Haneke est au-dessus de ça: proposer une relecture à Funny Games doit se voir comme le fantasme désormais accompli d'un cinéaste qui ne facilite rien au pauvre spectateur traité comme un rat de laboratoire, condamné à subir des événements ignobles, en devenant le complice des deux tueurs (on retrouve les clins d'oeils lancés à la caméra). Elle s'adresse presque exclusivement à un public américain qui risque d'être attiré par un marketing stimulant (la bande-annonce donne envie en reprenant un découpage à la Orange Mécanique) et un casting potentiellement séduisant (Naomi Watts, Tim Roth ou même Michael Pitt dans le rôle du méchant aux gants blancs).

A 100%, c'est exactement le même film que ce soit dans l'utilisation de la musique (John Zorn), les génériques (introduction sur un blindtest de musique classique ; final sur le regard diabolique de Michael Pitt), les voisins paralysés par la peur blanche, les références des deux tueurs ("Beavis et Butthead"), les aboiements intempestifs du chien, le couteau qui tombe dans le petit bateau, la télécommande qui permet de modifier le coup de théâtre moral d'une séquence, les cris de douleur et de colère d'un père face à son impuissance, les mouvements de caméra, les apostrophes face caméra, les plans-séquences cliniques, la rhétorique des dialogues, les gestes maladroits, les déplacements des personnages dans une pièce ou même - maniaquerie oblige - les vêtements qui semblent directement empruntés aux acteurs du précédent.
C'est sa qualité: revendiquer une liberté totale, ne pas avoir peur de montrer tout le théâtre de la cruauté (même hors-champ), flirter avec l'immoralité (même avec un enfant) et refuser tous les compromis auxquels bon nombre de cinéastes venus de l'étranger sont usuellement obligés de se soustraire. Et paradoxalement, ce pourrait être aussi sa limite pour ceux qui connaissent déjà la première version sur le bout des doigts. Ce remake ne propose aucune surprise et le vernis spectaculaire se révélait plus efficace grâce à l'anonymat du casting et la complicité des deux acteurs tueurs incarnés par le duo Arno Frisch/Frank Giering que le pendant US Michael Pitt/Brady Corbet n'égale pas toujours.

De même, la grande scène avec les parents saucissonnés qui ne se remettent pas d'un événement traumatisant a légèrement perdu de l'intensité bouleversante qui nous submergeait dans l'original. On n'oublie pas pour autant de ressentir leur douleur inhumaine.

Ceux qui s'attendaient à un traitement différent risquent donc d'être désarçonnés et d'observer ce jeu de massacre avec un oeil presque distancié. Alors que le premier Funny Games mettait sens dessus dessous sans prévenir personne, le second, proche par intermittence du pastiche, utilise cette prévisibilité pour se focaliser sur des intentions moins émotionnelles que purement théoriques.
Si Haneke n'a pas changé une ligne de son sermon moralisateur, ce n'est pas un hasard. Non pas pour se moquer du monde mais bien pour pointer du doigt les dérives d'une société calquée sur le modèle américain qui entretient un rapport toujours aussi pervers à l'image, entre fascination et répulsion, et jouit désormais de spectacles de plus en plus poubelle (inutile de souligner que la télé réalité a pris de l'ampleur entre les deux Funny Games).

Avec ce degré de lecture supplémentaire, en renforçant le caractère contemporain de cette histoire où Internet aurait certainement son mot à dire, Haneke rejoint Gus Van Sant sur le remake de Psychose en s'adressant aux cinéphiles tatillons - et un peu tordus que nous sommes - qui aiment à réfléchir sur la notion de remake (est-ce que ce qui est filmé une seconde fois fonctionne sur un public actuel ? Et si oui, à quels niveaux ?) et voir ce qui se cache derrière les images. Une nouvelle fois, il réussit à déranger. Surtout dans la frivolité ambiante.
Certains décèleront au passage une vague ironie dans la conversation des deux tueurs à la fin qui ressemble à une trace d'américanisation et tourne autour de la différence entre ce qui est réel et fictif. C'est en réalité une conclusion définitive qui résume - à elle seule - tout le travail de Michael Haneke depuis ses débuts. Pour ainsi dire, la boucle est bouclée. Difficile de trouver plus cohérent.

Romain Le Vern
Source : DVDRama/FunnyGamesUS, le remake choc de Michael Haneke
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