Autopsie de Haneke / Excessif.fr (part 4)

Tout sur FUNNY GAMES (US) - Le 2008-04-11

Dans La pianiste, le seul film qu'il a adapté (un roman éponyme d'Elfriede Jelinek) et qui peut faire figure d'exception, Haneke traite d'une autre forme de violence: sexuelle. A travers ce récit, il montre comment la frustration génère des monstres d'égoïsme découvrant le sexe à quarante ans. En l'occurrence, Erika (Isabelle Huppert) qui vit et dort encore avec sa mère possessive et dont le père, absent, meurt dans l'indifférence générale. Walter (Benoît Magimel), un jeune pianiste virtuose, s'entiche d'elle mais ne la considère que comme un fantasme. Lorsqu'elle va au peep-show, Erika hume les mouchoirs usagés des clients précédents. Et impassible, regarde des ébats sexuels auxquels elle ne participera jamais. La scission entre les deux se fera lorsqu'elle lui demandera de lire une lettre où toutes ses envies sexuelles masochistes seront rédigées. Elle lui balance une phrase déchirante : "je t'ai attendu, tu sais". Il vit dans les fantasmes d'un ado fougueux ; elle, cloîtrée dans sa frustration, pense avoir trouvé le prince charmant qui viendra la sauver de son marasme. Adoptant la froideur d'un cours de piano et la mécanique d'un métronome, Haneke ausculte avec ses plans-séquences la cristallisation des désirs jusqu'à la déception cruelle d'une histoire d'amour improbable entre deux personnages unis dans une tourmente passionnelle. Le résultat est formidable, à l'image de cette longue scène d'amour dans les toilettes où Erika demande à son prétendant des positions qu'il ne comprend pas. Le dévouement de l'un et le sadisme de l'autre, qui tour à tour s'observent, jouent à se manipuler et à se faire souffrir, sont au coeur de situations exacerbées, grotesques, terribles. Romantisme sanglant (elle se mutile) et érotisme torride (un rictus mémorable): une réussite foudroyante qui amène à penser que Haneke devrait revenir sur ce terrain-là plus souvent mais doit éviter pour ne pas ressembler à un émule de Zulawski.

Avant de proposer le remake copie conforme de Funny Games, Michael Haneke a signé l'un de ses films les plus abordables avec Caché. Sur le papier, le film suggère un argument (une famille sans histoire reçoit des cassettes vidéos intrigantes qui les enregistrent dans leur intimité) qui se situe quelque part entre Lost Highway de David Lynch et Blow up d'Antonioni. A l'écran, ces deux références servent, plus qu'elles ne desservent, ce thriller qui procure la sensation étrange d'avoir été sculpté à même les ténèbres. On le sait, Michael Haneke n'aime rien tant que générer le malaise, distiller le trouble et recouvrir son petit théâtre des horreurs d'une bonne couche de vernis spectaculaire. Dans Caché, il y a effectivement une scène traumatisante, située en plein milieu du film, qui provoque un décalage très sec et inattendu avec tout ce que l'on a vu auparavant. Elle ne repose pas sur une provocation gratuite puisqu'elle met le personnage principal (Daniel Auteuil) face à sa culpabilité nue. C'est seulement à cet instant que le titre prend tout son sens. Alors que La Pianiste pouvait être vue comme une auscultation de l'Autriche, personnalisée par le personnage frigide d'Erika (Isabelle Huppert), Caché dessine en creux un portrait de la France confrontée à ses démons secrets : la peur de l'étranger, de l'autre, de celui qui est susceptible de prendre votre place, de l'intégration. Le cinéaste en dit long sur la société comme elle va (mal) sans tomber dans le manichéisme de bas étage, sans tout le surplomb moralisateur qu'on lui a souvent reproché. Sous son allure austère et cérébrale, Caché est un film jouissif parce qu'il simule le ludisme.

Car - et c'est là que la seconde surprise naît -, il instille d'authentiques moments de terreur viscérale. Comme pris dans un étau, le spectateur va jusqu'à greffer ses visions et ses propres inquiétudes sur les images du film sans savoir ce qui se passe réellement. On imagine plus qu'on ne voit mais on n'est jamais loin d'une effroyable vérité. Haneke s'est toujours intéressé à la représentation de la vérité au cinéma comme art du mensonge et plus globalement à la manipulation des images. Cette thématique est exploitée dès le prologue : on croit que le plan d'ouverture est réel alors qu'il ne s'agit que d'un enregistrement vidéo. Ce qui semble être n'est pas. Ce n'est pas anodin si Haneke plonge ses protagonistes dans l'obscurité et n'hésite pas à les filmer de dos pendant une bonne partie du métrage. Ce n'est pas un hasard non plus si le réalisateur autrichien montre un couple en train de se chamailler pour une affaire de cassettes vidéo qui menacent leur quotidien tranquille alors que sur l'écran de télévision, au fond de la pièce, un reportage sur les atrocités du monde passe dans la plus grande des indifférences. Au fil des indices, on comprend mieux les desseins ; et tout finit par acquérir une cohérence inouïe. Par la variété des lectures qu'il supporte, Caché invite à méditer sur les forces secrètes qui travaillent notre quotidien le plus familier en même temps qu'il creuse une foultitude de détails intimes (les traumatismes enfantins, le refoulé et les conséquences de nos actes) et fait ressurgir des images du passé oubliées.

Source : Excessif.fr / DVDRama "Autopsie Haneke"
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