Le remake US par Michael Haneke

Les premières images du remake américain de Funny Games par Michael Haneke viennent de tomber. On retrouve l'actrice Naomi Watts dans le rôle de la mère de famille qui fait tomber le téléphone dans l'eau de vaisselle et Tim Roth dans celui du mari qui se prend des coups de club de golf dans les jambes. Les deux psychopathes aux gants blancs sont incarnés par Michael Pitt et le jeune Brady Corbet, remarqué dans Mysterious Skin et la série 24 heures Chrono. Si on l'envisage sur le territoire américain, le cas de relecture pourrait être intéressant. D'autant qu'Haneke est conscient que les producteurs US ne voient en Funny Games qu'un grand film d'horreur poisseux. Ce qu'il n'est pas.


FUNNY GAMES: LE GRAND MALENTENDU
En apparence, le remake de Funny Games par son propre réalisateur sur le territoire de l'oncle Sam pourrait ressembler à un projet extrêmement opportuniste. C'est aussi inattendu que de voir Jan Svankmajer aux commandes d'une production Besson. C'est d'autant plus inattendu que Michael Haneke a toujours été l'un des premiers à fustiger la violence du cinéma américain. Mais il ne faut pas se fier aux apparences. Le projet est né après l'inattendu succès outre-atlantique de Caché, son film le plus accessible, qui lui aussi aura droit à son remake.
Le réalisateur Autrichien que l'on sait exigeant a accepté à l'unique condition d'avoir le final cut. Ce qu'il a eu. La version qu'il devrait en tirer pourrait bien être impressionnante à la fois intellectuellement et émotionnellement et proposer une réflexion sur la violence aux Etats-Unis. Depuis toujours, le cinéma de Michael Haneke tourne autour de la représentation de la violence. D'une violence réaliste qui peut surgir à n'importe quel moment, et surtout au moment où l'on s'y attend le moins (la grande scène qui a fait bondir tout ceux qui ont vu Caché, le cheval tué dans Le temps du Loup, l'agression dans le métro dans Code Inconnu, la mutilation dans La pianiste, le cochon dans Benny's Video).

Pour rappel, dans l'original, réalisé il y a dix ans, tout commence de manière placide: une autoroute, une voiture, un couple avec son enfant, concours taquin de musique classique... Puis d'un coup, la musique classique laisse place au grunge de John Zorn et un générique rouge comme le sang recouvre l'écran. Haneke annonce un festin sanglant, méchant, cruel, glacial. Ceux qui l'ont vu s'en souviennent encore. Dans l'original comme dans le remake, la menace provient de deux adolescents qui pour tromper leur ennui trucident tous les riches dans leurs baraques luxueuses et isolées. Et pas n'importe quels ados: complètement déshumanisés (aucune compassion), pourvus de gants blancs (on ne laisse pas d'empreintes), de pseudos évocateurs (Beavis et Butthead), ils éprouvent une passion pour tout ce qui tourne autour du sadisme.
Du coup, quand ils tuent quelqu'un, ils n'abrègent pas ses souffrances - ce dernier doit les endurer (d'où les funny games). A travers ces deux monstres qui prennent plaisir à lire la souffrance sur des visages, Funny Games rappelle sur le mode de la dissertation hardcore que la violence peut être véhiculée par les images. Nous avions les prémisses de cette réflexion dans Benny's Video où la perte de repères du jeune protagoniste est provoquée par les rapports troubles qu'il entretient avec le tube cathodique.

SURMOI ORANGE MECANIQUE
En montrant tout cet étalage de violence, Haneke récuse la complaisance et pointe du doigt, avec une froideur obstétricale, le voyeurisme du spectateur (l'un des deux tueurs s'adresse au spectateur et lui fait des clins d'oeils complices). C'est d'ailleurs pour cette raison que le cinéaste est souvent détesté par les fans de film d'horreur: ses fictions ne possèdent aucune échappatoire et se vivent comme des expériences cauchemardesques dans lesquelles on ne tue pas pour le fun, où le sang n'a rien d'un effet de palette. A sa sortie, les spectateurs ne savent comment prendre l'objet équivoque et, surtout, ne saisissent pas la dimension critique en étant conscient d'avoir assisté à l'une des expériences les plus éprouvantes de leur parcours de cinéphile sans avoir mis des mots sur la réflexion dissimulée derrière ce jeu de massacre.

En Dvd, Funny Games est devenu un film culte aux Etats-Unis et dans le reste du monde.

A contre-coeur. Haneke répétait pendant le tournage que si le film devenait un succès, il ne pouvait le devenir qu'en raison d'un malentendu. Funny Games pose la question de l'alternative: comment réaliser un film violent qui dénonce la violence?Cela rejoint le problème que Stanley Kubrick a eu avec Orange Mécanique qui s'est longtemps traîné une réputation de film insoutenable et qui en substance réfléchit sur la notion de la violence qu'elle soit sociale, morale ou physique. Le réalisateur de 2001 était horrifié à la simple idée de savoir que les spectateurs d'Orange Mécanique puissent réduire le propos du film à de l'image "insoutenable" et "ultraviolente". Malgré lui, c'est ce que ce chef-d'oeuvre est devenu.
Face à de telles réactions, Kubrick, désarmé, avait pensé à retirer Orange Mécanique à cause de cette réduction simpliste, lui qui voyait dans cette adaptation du roman d'Anthony Burgess une vraie réflexion sur l'horreur sociale (le conformisme et les lois qui bouffent tout cru les rebelles). Point commun troublant: la bande-annonce du nouveau Funny Games a été montée à la manière de celle de Orange Mécanique. Histoire de consolider les liens entre deux films ayant connu la même trajectoire cinéphile et engendré le même désarroi de leurs réalisateurs incompris.


En connaissant le film d'origine, on se rend compte que le casting américain se révèle très habilement pensé. Le simple fait de voir la belle Naomi Watts, soutenue dans l'épreuve par Tim Roth, se perdre dans un film de Michael Haneke, a quelque chose de délectable parce qu'on imagine déjà les scènes ardues auxquelles elle va devoir se frotter. Sa faculté à allier différents genres de cinéma et à fréquenter les plus grands (Lynch, Jackson, Cronenberg...) la place clairement comme l'une des actrices les plus stimulantes de sa génération. Mais la vraie question est de savoir comment le cinéaste va réussir à faire passer la pilule de situations âpres dans la version d'origine (le long plan fixe où le père, attaché et mutique, craque et fond en larmes) et s'il va reprendre le film d'origine plan par plan comme Takashi Shimizu, pour son remake de The Grudge. A première vue, c'est le cas. Haneke devrait profiter de cette incursion pour autopsier comme il le fait toujours les névroses du pays dans lequel il tourne (l'Autriche pour La pianiste; La France pour Caché; les Etats-Unis pour Funny Games US).

Source : DVDRama "Le remake US par Michael Haneke"
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